Le paradoxe des méthodes de notation

Profitons de cette décision du Conseil d’Etat du 3 novembre 2014 n°373362 – Commune de BELLEVILLE sur Loire qui fera date – car publiée au recueil Lebon – pour s’inquiéter, comme tout pouvoir adjudicateur attentif à la sécurité de son processus achat, des méthodes de notation.

L’application des méthodes de notation concluent la phase d’analyse et permet de dégager le classement qui servira de base à la phase d’attribution.

Ainsi, une fois les plis des opérateurs économiques ouverts, les organismes acheteurs:

  1. Vérifient la recevabilité des candidatures :
  • situation juridique (interdiction de concourir, redressement judiciaire…)
  • pouvoir d’engager l’opérateur économique
  • présence ou absence des pièces de candidatures demandées au Règlement de Consultation
  1. Analysent et sélectionnent des candidatures au regard des seules capacités professionnelles, techniques et financières
  • En s’appuyant sur les documents listés à l’arrêté du 26 août 2006
  • Au regard éventuellement de niveaux minimaux de capacité
  1. Vérifient la recevabilité des offres :
  • Acceptabilité
  • Régularité
  • Appropriation
  • Offre anormalement basse
  1. Déterminent l’offre économiquement la plus avantageuse :
  • application des critères (appréciations) et de leur méthode de notation
  • Pondération des critères
  • Classement des offres

Ces fondamentaux posés, il est temps d’aborder le caractère paradoxal des méthodes de notation.

Les méthodes de notation ne sont pas obligatoirement publiées


Le principe de transparence inciterait les pouvoirs adjudicateurs à informer au préalable les opérateurs économiques avec le maximum d’éléments d’appréciation qu’ils comptent mettre en œuvre pour juger les offres reçues.

Dans cette logique, les OE auraient donc toutes les cartes en main pour proposer aux pouvoirs adjudicateurs les meilleures offres possibles. L’opportunité de contester l’analyse des offres serait également amoindrie.

Afficher les méthodes de notation de chaque critère apparaîtrait donc dans le pire des cas comme accessoire.

Le Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie recommandait, dans une réponse du 08/03/2007 à une question du Sénateur PIRAS du 19/01/2006, « d’assurer la plus grande transparence des méthodes de notation ».

Or, le Conseil d’Etat a jugé que la méthode de notation n’avait pas obligation à être publiée (CE 31/03/2010, CT de CORSE n°334279, CE 02/08/2011 Syndicat Mixte de la Vallée de l’Orge Aval n°348711).

La Cour Administrative d’Appel de Nancy précisait la position du Conseil d’Etat en indiquant que: « l’absence d’indication dans l’avis d’appel public à la concurrence et dans le règlement de consultation quant au choix de la méthode de notation n’a pu fausser la concurrence dès lors qu’il n’est ni établi, ni même soutenu qu’un mode de calcul aurait pu favoriser l’une ou l’autre des entreprises candidates » (CAANY du 05/08/2010 CC PAYS DE LURES n°09NC00016).

Dès lors, si publier les méthodes de notation n’apparaît pas comme obligatoire dans l’absolu pour le Conseil d’Etat, il apparaît opportun de les porter à connaissance des opérateurs économiques dans le cas où leur application pourrait impacter le classement final des offres.

Les méthodes de notation impactent dans tous les cas le classement final des offres


Les méthodes de notation peuvent revêtir plusieurs formes, par exemple :

  • Une simulation nécessaire à l’évaluation de prestations unitaires et forfaitaires (CAANY du 05/08/2010 CC PAYS DE LURES n°09NC00016) ou un « détail quantitatif estimatif masqué correspondant aux travaux les plus courants du marché, non remis aux entreprises, élaboré avant la réception des offres (TATOU du 10/01/2012 SVCR 1103376)
  • Méthode simple type 1=Insuffisant, 2=Passable, 3=Moyen, 4=Correct, 5=Excellent (Réponses ministérielles du 08/03/2007)
  • Formule paramétrique pour les critères « mathématiques »

Vérifions ensemble de quelle manière le choix de la méthode de notation peut impacter fortement le classement des offres au moyen du tableau suivant :

OFFRES A B C D E F Formule de notation
MONTANT 100 95 110 104 175 215
Série 1 95,00 100,00 86,36 91,35 54,29 44,19 Note = (Prix minimum / Prix) x Note maximale
Série 2 99,12 100,00 97,37 98,42 85,96 78,95 Note = (10/3 x (7 – Prix / Prix minimum))*5
Série 3 94,74 100,00 84,21 90,53 15,79 -26,32 Note = (10-(10 x ((Prix – Prix minimum)/ Prix minimum)))*10
Série 4 90,25 100,00 74,59 83,44 29,47 19,52 Note = (Prix minimum² / Prix²) x Note maximale

Nota : Pour plus de commodités de lecture, les notes ont été ramenées sur 100.

Ces quatre séries permettent d’attribuer la meilleure note (qui se confond en l’espèce avec la note maximale) à l’offre disposant du prix le plus bas à savoir l’offre B.

L’offre A, selon la formule de notation obtient des notes allant de 99,12/100 à 90,25/100. Ainsi, un écart de 5,3% en valeur peut entraîner, selon la formule mise en œuvre, une note inférieure de 9,75% dans la série 4 comme une note inférieure de 0,88% dans la série 2.

Ajoutons le critère valeur technique à la recette :

OFFRES A B C D E F Formule de notation
MONTANT 100 95 110 104 175 215
Prix 95,00 100,00 86,36 91,35 54,29 44,19 Note = (Prix minimum / Prix) x Note maximale
Prix pondéré 50% 47,50 50,00 43,18 45,67 27,14 22,09
Valeur Technique 55,00 52,00 65,00 60,00 60,00 80,00
VT Pondérée 50% 27,50 26,00 32,50 30,00 30,00 40,00
Total 75,00 76,00 75,68 75,67 57,14 62,09

Si on conserve la formule de prix (dite en produit en croix) de la série 1, le classement serait le suivant :

1 offre B / 2 offre C / 3 offre D / 4 offre A / 5 offre F / 6 offre E.

L’offre B a la valeur technique la moins intéressante mais un prix qui lui permet de devancer la concurrence.

En prenant la formule utilisée à tort par la commune de BELLEVILLE sur LOIRE, on obtient, avec les mêmes appréciations techniques les tableau et classement suivants :

OFFRES A B C D E F Formule de notation
MONTANT 100 95 110 104 175 215
Prix 99,12 100,00 97,37 98,42 85,96 78,95 Note = (10/3 x (7 – Prix / Prix minimum))*5
Prix pondéré 50% 49,56 50,00 48,68 49,21 42,98 39,47
Valeur Technique 55,00 52,00 65,00 60,00 60,00 80,00
VT Pondérée 50% 27,50 26,00 32,50 30,00 30,00 40,00
Total 77,06 76,00 81,18 79,21 72,98 79,47

1. Offre C / 2. Offre F / 3. Offre D / 4. offre A / 5. offre B / 6 offre E

On constate que l’offre B lauréate avec la formule proportionnelle simple passe à la 5ème place avec la formule incongrue et irrégulière de la commune de BELLEVILLE sur LOIRE. Son avantage financier est fortement réduit par une formule de notation castratrice d’écarts de prix.

Certes, l’exemple a tendance à exagérer le postulat de départ. Toutefois, compte tenu de la multiplicité des offres potentielles et l’impossibilité pour les pouvoirs adjudicateurs de connaître avant le lancement de leur procédure la teneur des offres qu’ils recevront, il serait hautement audacieux de penser que les formules de notation peuvent ne pas impacter le classement final et donc la décision d’attribution.

Il en irait de même, dans d’autres proportions en prenant deux échelles de notation différente des critères non mathématiques. Par exemple, un pouvoir adjudicateur qui noterait sur une échelle de 0 à 5 (0 absence de précision, 3 moyennement satisfaisant, 5 très satisfaisant) affecterait un 4/5 à une offre satisfaisante. Un pouvoir adjudicateur qui utiliserait une échelle de 0 à 20 pourrait noter une offre satisfaisante 15, 16 ou 17/20.

Il est donc paradoxal, au regard du principe de transparence des procédures, que la publication des méthodes de notation ne soit pas obligatoire.

Pour conclure ce billet, les plus attentifs auront surement remarqué que la série 3 est également irrégulière (cf Arrêt CE du 17 juillet 2013 Département de la Guadeloupe n°366864).

Pour aller plus loin ou pas tout à fait au même endroit :

– Les nombreux échanges sur l’excellent forum agorapublix :ici, ou encore

– L’excellent article d’Arsène COLLIC « La notation du prix », directeur de la commande publique et de la planification à la SEMTCAR sur la revue Contrats Publics n°97 mars 2010

– L’article de Maxime JACOB « Notation du prix, à la recherche d’une formule idéale » sur la revue Contrats Publics n°100 de juin 2010

– Les travaux de Claude POMERO, COTREF ici

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3 comments on “Le paradoxe des méthodes de notation
  1. […] La Direction des Affaires Juridiques de Bercy publie sa lettre quinzomadaire (oui ce mot existe) et revient sur les méthodes de notation qui ne doivent « pas neutraliser la pondération des critères« . On vous en parlait en début de semaine ici. […]

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  2. […] métiers, des Tribunaux Administratifs et des praticiens. J’en parlais le 24 novembre dernier dans ce billet. La construction jurisprudentielle nous permet désormais de savoir notamment […]

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  3. […] n’exposera pas le critère du prix que ce modeste blog a déjà pu traiter ici ou là ou encore là. Nous nous contenterons d’introduire quelques critères intéressants à sortir de votre tablier […]

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