Le pavé dans la marre du Dr MOREAU

Disclaimer : Ce billet n’a rien à voir avec l’ouvrage d’H.G. WELLS et interprété à l’écran par Marlon BRANDO. Nul question de vivisection, transfusion et vénération du bon Docteur ici, il s’agit de revenir sur l’étude menée par Pascal MOREAU, doctorant en droit public à l’Université de Poitiers et Capitaine de Police chargé d’enquêtes en matière de corruption et marchés publics publiée dans l’excellente revue Contrats et Marchés Publics de décembre 2014.

La méthode de notation du critère prix constitue depuis quelques temps un des sujets favoris des chroniqueurs métiers, des Tribunaux Administratifs et des praticiens. J’en parlais le 24 novembre dernier dans ce billet. La construction jurisprudentielle nous permet désormais de savoir notamment :

  • que la méthode de notation n’a pas obligation à être publiée (CE 31/03/2010, CT de CORSE n°334279, CE 02/08/2011 Syndicat Mixte de la Vallée de l’Orge Aval n°348711)
  • qu’une formule de notation conduisant à affecter des notes négatives est interdite (CE 18/03/2012 Dpt de la GUADELOUPE)
  • que l’offre recevable la moins chère doit obtenir obligatoirement la meilleure note (CE 29/10/2013 Val d’Oise Habitat)
  • que la méthode de notation ne doit pas avoir pour effet de neutraliser ou amplifier de trop la pondération des critères (CE 15/02/2013 Société SFR)

Le Capitaine MOREAU joue l’originalité en jetant un véritable pas japonais dans la marre doctrinale, s’attaquant à la méthode de notation du prix la plus répandue (et de loin), méthode adoubée par la DAJ de Bercy, la classique méthode proportionnelle Pondération X (Pmin/P) ou P est l’offre de prix notée et Pmin l’offre la plus basse. La démonstration est concise et pertinente. Toutefois, à notre sens, elle mérite d’être affublée de quelques bémols :

  1. Une analyse audacieuse du récent arrêt du Conseil d’Etat du 3 novembre 2014, n° 373362, Commune de Belleville-sur-Loire
  2. Une tendance à mêler sourcing et évaluation des offres reçues
  3. Une condamnation un peu trop à charge quant au caractère éventuellement discriminatoire de la méthode de notation proportionnelle
  4. Une mise en avant de la méthode du barème incongrue

1. Les offres de prix ne doivent pas être appréciées à l’aune de l’offre la moins chère?


C’est ce qu’interprète P MOREAU à partir de la jurisprudence de la CAA de NANTES du 19 septembre 2013, Commune de BELLEVILLE s/ LOIRE n°12NT01553 (pour ceux qui veulent l’épingler).

En l’espèce, « le règlement de la consultation prévoyait pour l’ensemble des lots que les offres de prix (P) seraient notées au prorata de leur valeur relative par rapport à l’offre de prix la plus basse (P0) selon la formule mathématique suivante : Np = 40/12 X (7 – P/P0)« .

Les Sages du Palais Royal ont ainsi jugés qu’ « une telle méthode a pour effet de neutraliser les écarts entre les prix, de sorte que les offres ne pouvaient être différenciées qu’au regard des autres critères de sélection et qu’elle était ainsi susceptible de conduire à ce que l’offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie« .

Dès lors, ce n’est pas parce que les offres de prix ont été comparées à l’offre la plus basse que la méthode est irrégulière mais bien parce que la formule mathématique utilisée neutralise la portée du critère prix pourtant pondéré à 50%.

Au surplus, il s’avère audacieux de comparer la formule proportionnelle simple et la formule tarabiscotée utilisée par les services de la Commune de BELLEVILLE S/LOIRE. Jugez plutôt :

COURBE_COMPA_FORMULES_PRIXLa série 1 représente la méthode proportionnelle, la série 2 représente la formule de la commune de BELLEVILLE S/LOIRE.

On voit ici que pour un écart de prix de 50% la méthode BELLEVILLE n’affecte qu’un écart de 8,33% là où la formule proportionnelle affiche un écart de 33,33%. La neutralisation est donc flagrante dans la formule condamnée par le Conseil d’Etat. Et c’est bien en raison de ce caractère neutralisant que la formule de notation du critère prix a été retoquée par les Sages non pas parce que les offres « sont appréciées en fonction de l’offre la plus basse« .

2. Une tendance à mêler sourcing et évaluation des offres reçues :


« La méthode proportionnelle ne permet pas de savoir si les tarifs proposés par les candidats sont trop chers au regard des prix pratiqués sur les marchés économiques similaires« .

Effectivement, P. MOREAU a tout à fait raison lorsqu’il démontre, dans son paragraphe B que la méthode proportionnelle simple « ne permet pas une évaluation objective des offres de prix« .

Mais est-ce son rôle? Bien évidemment non! Il ne s’agit pas pour l’adjudicateur de mesurer les offres de prix à l’aune d’un « prix objectif » mais de dégager l’offre économiquement la plus avantageuse parmi les offres reçues et recevables.

La vérification de la conformité des offres reçues au prix du marché s’effectue en amont de l’application de la méthode de notation. Ainsi, le pouvoir adjudicateur :

  • Effectue une analyse de la valeur de son besoin (combien coûte la satisfaction de mon besoin compte tenu de ses composantes)
  • Analyse le marché fournisseur (qui peut répondre et à quel prix)
  • Détermine un coût d’objectif (avec éventuellement un coût maximum correspondant à son budget)
  • Rejette les offres inacceptables c’est à dire celle qu’il ne pourra financer car au delà de son budget
  • Met en œuvre éventuellement la procédure de « détection » des offres anormalement basses et rejette les offres pour lesquelles les opérateurs économiques n’ont pas ou n’ont pas su expliquer les raisons du caractère anormalement bas de leur offre.

Ceci fait, le pouvoir adjudicateur dispose alors d’un panier d’offres correspondant peu ou proue à l’analyse qu’il a faite en amont de la consultation. Et c’est dans ce panier qu’il doit rechercher l’offre économiquement la plus avantageuse en les passant à la moulinettes des critères d’attribution et leurs modalités de mises en œuvre.

3. Le caractère discriminatoire de la méthode de notation proportionnelle


P. MOREAU démontre dans la seconde partie de son étude que la méthode de notation proportionnelle a un effet discriminatoire lorsque des opérateurs économiques s’entendent pour déposer des offres de couvertures.

En effet, l’auteur expose dans son exemple un cas d’espèce dans lequel 3 offres sont classées au regard du prix et de la valeur technique. L’offre C techniquement la moins performante mais bon marché l’emporte, laissant l’offre A, certes la plus onéreuse mais qualitativement supérieure à la dernière place.

En ajoutant une offre D substantiellement moins chère que les 3 offres initiales, le curseur de la méthode de notation proportionnelle se déplace et c’est l’offre A, qui, dès lors, rendant moins de points à l’offre C en terme de prix, se classe alors première.

P. MOREAU met alors au ban cette méthode qui modifie la valeur relative du critère prix car elle « dépend de l’importance des écarts de prix entre les offres« .

Nous partageons cette analyse. Toutefois, contrairement à l’étude publiée dans Contrats & Marchés Publics, nous ne sommes pas aussi catégoriques quant à l’efficacité des offres de couvertures.

En effet, la valeur technique, généralement notée à partir d’un barème, peut également être affectée par le nombre et la pluralité des offres. Il faut comprendre qu’un barème est basé sur un optimum. Dès lors que l’optimum est dépassé par une offre d’avant-garde, le barème s’ajustera automatiquement en partant du principe que deux offres différentes ne peuvent obtenir la même note. Dans l’exemple, l’offre A « très compétente » obtient 38/40, si l’offre D est substantiellement supérieure, le pouvoir adjudicateur aura tendance à ajuster valablement ces notes techniques. Ainsi A pourrait obtenir 35/40 pour laisser D obtenir une note proportionnelle à l’écart de valeur technique par exemple 39/40. A l’inverse, si D est une offre de couverture, techniquement faible, les offres C, B et A pourraient être réévaluées.

Restons toutefois sur l’exemple de M. P MOREAU. La VT n’est pas affectée et lorsqu’une offre de couverture est déposée, le classement des 3 offres initiales est bouleversé.

Certes, c’est indéniable. Pourtant, et même si la méthode de notation est valablement publiée, comment les opérateurs qui ont mis au point l’entente ont-ils pu déterminer la niveau de prix de l’offre de couverture alors même qu’ils ne connaissent pas le montant des deux autres offres concurrentes?

Difficile de monter une combine efficace lorsque deux des quatre paramètres sont inconnus. Pis, l’offre de couverture pourrait même devenir attributaire malgré elle! C’est un jeu dangereux pour les OE auteurs de l’entente illicite…

4. Une mise en avant de la méthode du barème incongrue


L’auteur semble privilégier l’établissement d’un barème (validé par une réponse ministérielle du 08/03/2007) de type 0 Très insuffisant 1 insuffisant 2 plutôt insuffisant 3 moyen 4 intéressant 5 Très intéressant à la méthode de notation proportionnelle.

Traduit en critère prix, le barème pourrait prendre la forme suivante : 0 Prix excessivement élevé 1 Prix très élevé 2 Prix élevé 3 prix moyen 4 Prix intéressant 5 prix très intéressant.

Cette méthode a l’avantage, comme le précise P. MOREAU de permettre une évaluation objective des offres « indépendamment les unes des autres« . Toutefois, cette méthode peut conduire à affecter deux notes identiques à deux offres pourtant différente sauf à créer un barème  dont l’unité est le centième d’Euros.

Ainsi supposons 5 offres :

  • A = 120 000
  • B = 121 500
  • C = 145 000
  • D = 165 000
  • E = 170 000

Le prix objectif évalué au préalable est de 150 000. On aurait dès lors :

  • A = 4 Prix intéressant
  • B = 4 Prix intéressant
  • C = 3 Prix moyen
  • D = 2 prix Elevé
  • E = 1 Prix très élevé

Ce barème est discriminatoire envers A qui obtient la même note que B avec pourtant un prix sensiblement inférieur.

Il faut donc chercher ailleurs la formule ultime de notation du prix, quelque part vers la notion de médiane? Ou bien en monétisant tous les critères?

C’est ce que nous tenterons d’exposer dans un prochain billet.

 

 

Tagged with: , , , ,
Publié dans Iconoclasme
3 comments on “Le pavé dans la marre du Dr MOREAU
  1. MOUCHE Jean-Louis dit :

    Une précision d’ordre purement mathématique mais il me semble que cette formule est de nature inversement proportionnelle : plus le prix est bas plus la note augmente.
    Elle serait proportionnelle dans le cas contraire : la note augmente si le résultat augmente(exemple : la puissance, la vitesse, …)
    La méthode proposée dans la circulaire prix est probablement la plus juste : pondération du prix par la qualité de la prestation mais peut paraitre trop complexe pour susciter l’adhésion de tous.

    J’aime

  2. clauseur dit :

    Monsieur, vous avez tout à fait raison. Il s’agit bien d’une formule inversement proportionnelle d’un strict point de vue mathématique. Je vous remercie pour cette précision. Je n’ai fait de mon côté que reprendre les mots de l’auteur de l’étude parue dans Contrats & Marchés Publics. Par contre, je ne suis pas complètement de votre avis quant à la méthode du guide pratique : le Prix dans les Marchés Publics. Je tenterai de l’expliquer dans un prochain billet. Je vous remercie chaleureusement pour l’intérêt que vous avez porté à ma modeste prose.

    J’aime

  3. […] papier n’exposera pas le critère du prix que ce modeste blog a déjà pu traiter ici ou là ou encore là. Nous nous contenterons d’introduire quelques critères intéressants à […]

    J’aime

Laisser un commentaire

Catégories