Un Small Business Act Ultra-Marin… Malin ou « machin »?

Le CLAUSEUR sortirait-il de sa torpeur? Enfin?

Pas tout à fait, des obligations professionnelles ne me permettent malheureusement pas  d’assurer le service minimum sur cet espace d’expression. Mais je ne pouvais passer sur ces mesures en cours de discussion dans les Assemblées (actuellement se tiennent les débats en Commission Mixte Paritaire) et qui pourraient impacter ma région d’adoption.

Mesures malines ou « machin » à la façon du général?

Le 19 janvier 2017, nos sénateurs ont adopté le projet de loi relatif à l’Égalité Réelle des outre-mers.

Selon le calendrier parlementaire, la loi devrait être définitivement promulguée fin février.

L’Egalité réelle des outre-mers… Voilà bien une punchline clinquante qui s’affiche qui plus est sans acronyme évocateur. Il s’agit concrètement d’offrir des espaces dans la règlementation qui doivent permettre la correction des « inégalités structurelles » entre les territoires ultra-marins et la métropole.

Parmi ces mesures, nous nous attarderons sur l’article 19 de ce projet de loi qui dispose :

« À titre expérimental, et pour favoriser à moyen terme l’émergence de nouveaux opérateurs locaux susceptibles d’exercer pleinement leur libre accès à la commande publique, dans les collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution autres que la Polynésie française et les îles Wallis et Futuna, pour une période de cinq ans à compter de la promulgation de la présente loi, les pouvoirs adjudicateurs, les entités adjudicatrices et les acheteurs publics peuvent réserver jusqu’à un tiers de leurs marchés aux petites et moyennes entreprises locales, au sens de l’article 51 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie.[…] »

Il s’agit donc d’autoriser les acheteurs publics ultra-marins à ne pas respecter le principe d’égalité de traitement des candidats pendant une période d’expérimentation quinquennale. Quelles sont les mesures introduites par cet article 19 et quels sont les impacts souhaités sur l’économie des outres mers? Comment appréhender la constitutionnalité de ces mesures et envisager les futures difficultés règlementaires de leur application?

Telle sera l’articulation de notre développement en passant ces mesures au seul filtre réunionnais pour la simple et bonne raison que votre hôte WordPress ne connait qu’à la marge la situation des Antilles, de la Guyane, de St Pierre et Miquelon et des iles françaises du Pacifique. Mais tout d’abord, favoriser les PME est-ce innovant ou réchauffé?

Le SBA, une vraie nouveauté?

Les mesures en faveur des TPE-PME dans les textes régissant la commande publique ne datent pas d’hier et sont aussi récurrentes que les périodes électorales.

Il n’y a pas encore 10 ans, le Conseil d’Etat (CE 9/07/07 Synd EGF-BTP n°297711) annulait l’article 60 I al 3 en raison de sa méconnaissance du principe d’égal accès à la commande publique en cela qu’il précisait : « En outre, le pouvoir adjudicateur peut fixer un nombre minimum de petites et moyennes entreprises, au sens de l’article 48, qui seront admises à présenter une offre, sous réserve que le nombre des petites et moyennes entreprises retenues en application des critères de sélection des candidatures soit suffisant. Cette décision est mentionnée dans l’avis d’appel public à la concurrence. »

Le rapporteur public de l’affaire N BOULOUIS exposa aux Sages que ces dispositions (reprises également aux articles 65 et 67 relatifs au marché négocié et dialogue compétitif) étaient clairement illégales car « une telle discrimination ne peut être liée à l’objet du marché et n’est dictée par aucun motif d’intérêt général justifiant un traitement différencié« .

Citons également au niveau européen, le rapport STOLERU du 5/12/2007 qui proposait notamment un quota de marchés réservés aux PME innovantes. Il s’agissait de réserver 15% des marchés dits de haute technologie (santé, éco-activité, énergie, transports, défense, NTIC) à des PME innovantes.

Sur l’Ile de la Réunion et à l’initiative de la CGPME, les syndicats interprofessionnels & professionnels ont formalisé un SBA ou Stratégie du Bon Achat, expression astucieuse pour éviter l’anglicisme Small Business Act.

Loin d’une mesure règlementaire, le SBA réunionnais apparaît comme un engagement bilatéral de mise en oeuvre de bonnes pratiques entre acheteurs publics et opérateurs économique. Il se développe en 3 volets :

  • L’anticipation => diffusion de la politique achat de l’organisation publique aux opérateurs économique
  • L’adaptation => Bonifier les conditions d’avance, allotir au plus près, faciliter les démarches de réponse
  • L’ancrage territorial => mettre en place des comités experts pour améliorer les contrats et mode de consultation en continu

Les plus grands donneurs d’ordre locaux ont signé cette charte, citons notamment le Conseil Départemental, les communautés d’agglomération du Nord et de l’Ouest, la Commune de SAINT-DENIS…

Le « SBA Bareigts » du nom de la Ministre de l’Outre-Mer en exercice va plus loin que les seuls droits de préférence, engagement de bonnes pratiques ou quota sectoriel, il réserve clairement tout un pan de la manne publique aux PME. Prenons donc le temps de comprendre cette mesure phare de la loi relative à l’Egalité Réelle.

1/3 des marchés publics outre-mer aux PME locales?

Evidemment le taux de réservation est bien moins impressionnant que les 80% que M. MONTEBOURG souhaitait mettre en oeuvre s’il avait pu accéder à l’Élysée.

Intéressons-nous tout d’abord à la manière de distinguer les PME du pot commun « entreprises ».

C’est le Décret 2009-245 du 2 mars 2009 qui vient définir la notion de PME dans le droit de la Commande Publique. Comme tout bon livre dont vous êtes le héros, ce cher Décret renvoie à la recommandation de la Commission du 6 mai 2003 concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises (2003/361/CE) qui précise :

« La catégorie des micro, petites et moyennes entreprises (PME) est constituée des entreprises qui occupent moins de 250 personnes et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros ou dont le total du bilan annuel n’excède pas 43 millions d’euros. »

Selon la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Réunion, il convient de considérer comme PME toutes les entreprises de moins de 50 salariés. Cette définition réunionnaise nous permet d’extrapoler sur la taille des entreprises qui pourraient bénéficier du dispositif. Ce sont bien des entreprises dont l’effectif est inférieur à 250 personnes et avec un CA inférieur ou égal à 50M€ qui pourront obtenir des marchés publics réservés spécialement pour elles. C’est à dire des entreprises de grande taille sur le marché fournisseur réunionnais.

Lors des navettes parlementaires, l’article 19 supprimé initialement est réapparu par la grâce d’un amendement présenté par M. MAGRAS et le Gouvernement. L’argumentaire développé devant le Sénat faisait état de la nécessité de « faire émerger de nouveaux opérateurs locaux susceptibles d’exercer pleinement, à moyen terme, leur libre accès à la commande publique » et d’ajouter « le statu quo favoriserait les opérateurs exerçant d’ores et déjà leur domination économique »

Comment de nouveaux opérateurs locaux pourront-ils valablement lutter face à des entreprises de plus de 100 salariés et produisant un CA supérieur à 20 ou 30 millions d’Euros? Ce quota ne risque-t-il pas de favoriser inutilement des opérateurs de grande taille eu égard aux standards insulaires mais de taille moyenne selon la définition règlementaire?

Size matter ont tendance à déclarer nos voisins américains instigateurs les premiers d’un SBA. Certes, il faudra se faire petit ou moyen pour espérer intégrer ce tiers de marchés réservés mais surtout, il faudra se présenter comme un acteur local.

Et c’est bien là une nouvelle problématique, que signifie « entreprises locales »? Comment les acheteurs vont-ils pouvoir vérifier l’étiquette « péi » des opérateurs candidats? S’agit-il de l’adresse de l’entreprise ou de son établissement? Quid d’un opérateur local dont les salariés ne seraient pas résidents, pis, natifs? Ou encore d’une entreprise dont le siège est réunionnais mais le patron métropolitain? Comment traiter un groupement composé d’une entreprise locale et d’un cotraitant extérieur? Devra-t-on utiliser l’indicateur BIOM pour déterminer le localisme de l’opérateur?

On retrouve là les limites discriminantes de la fameuse préférence régionale qui se transforme de manière sectorielle en préférence communale voir même, et c’est risible, quartiétale.

On peut donc raisonnablement douter de l’impact futur du dispositif en faveur des vrais PME réunionnaises rien qu’en prenant en compte ce champ de réservation organique. Espérons seulement que les Décrets d’application sauront rationaliser cette formulation laconique.

Toutefois, avant de quitter ce critère, notons que l’article 19 évoque pouvoirs adjudicateurs (PA), entités adjudicatrices (EA) et acheteurs publics. Or, l’article 9 de l’Ordonnance du 23 juillet 2015 précise que la dénomination « acheteurs publics » regroupe à la fois les PA et les EA. Pourquoi recréer une dichotomie que la réforme de la commande publique de 2015 avait fini par abroger?

Le 2ème alinéa de cet article 19 apporte également son lot d’interrogation …

« Le montant total des marchés conclus en application du premier alinéa au cours d’une année ne peut excéder 15% du montant annuel moyen des marchés du secteur économique concerné conclus par le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice au cours des trois années précédentes. »

…Doux euphémisme que de le qualifier de confus.

L’acheteur public (notons ici que l’expression a disparu) au sens de l’article 9 de l’Ordonnance 2015-899 devra donc calculer le total en valeur des marchés qu’il a conclu. Jusque ici rien de compliqué. Il devra ensuite ventiler ce total par secteur économique. Espérons qu’un acte règlementaire vienne déterminer ce que renferme la notion de secteur économique.

  • S’agit-il du triptyque « primaire, secondaire, tertiaire » ?
  • S’agit-il d’une partition en rapport avec la qualification matérielle des marchés : Fournitures, services et travaux ?
  • S’agit-il d’une partition plus fine de type matières premières, produits manufacturés, outils et équipements, service de conseil, service de maintenance et entretien, service sanitaires, sociaux ou récréatifs, travaux de voirie, travaux de bâti…?

Au surplus, en liant les deux premiers alinéas, doit-on comprendre que le tiers de marchés réservés aux PME se compte en nombre de marchés (nombre de consultations x nombre de lots) mais ne doit jamais dépasser un montant en Euro engagé calculé sur 3 années ?

Les difficultés que peuvent engendrer le respect de ces limites pour les administratifs acheteurs publics apparaissent importantes. Quid par exemple de l’avenant ou de l’achat supplémentaire (art 139 2° Décret 2016-360) devenu nécessaire sur un contrat conclu dans les quotas de l’article 19 de la loi Egalité-Réelle qui engendrerait un dépassement  de la limite des 15% trisannuelle ?

Comment intégrer les marchés et accords-cadres conclus sur plusieurs années et dont les dépenses réelles peuvent varier selon les quantités réellement exécutées ?

Que faire lorsque une PME titulaire d’un marché réservé souhaite sous-traiter des prestations à une entreprise n’entrant pas dans le champ des PME ? Doit-on refuser d’agréer le sous-traitant ? La question de posera également pour les sous-traitants de rang inférieur.

Une immixtion exagérée dans le principe de liberté de sous-traiter?

Enfin, le 3ème alinéa moins avant-gardiste puisque émanation du SBA US renferme certaines caractéristiques d’un terreau fertile aux contentieux :

« Dans les conditions définies par voie règlementaire (NDClauseur : au moins un règlement est prévu), pour les marchés dont le montant estimé est supérieur à 500 000 euros hors taxe, les soumissionnaires doivent présenter un plan de sous-traitance prévoyant le montant et les modalités de participation des petites et moyennes entreprises locales. »

Le vocable « soumissionnaire » nous indique que c’est au moment de la remise du pli, avant la date limite de réception des offres, que l’entreprise candidate devra remettre un plan de sous-traitance.

En procédure restreinte, seuls les candidats retenus au préalable devront intégrer ce nouveau document à leur offre.

Ce plan doit renseigner l’acheteur public sur les montants sous-traités et les moyens que le soumissionnaire met ou mettra en œuvre pour faire participer les PME locales.

Nous pouvons d’ores et déjà imaginer que le futur décret précisera le contenu minimum du plan de sous-traitance et éventuellement la part minimum que le candidat devra sous-traiter ou ne pourra sous-traiter ainsi que la définition des modalités de participation.

En théorie, la pratique peut être louable mais en pratique pourra générer quelques difficultés.

Les acheteurs devront prévoir des délais de consultation suffisamment calibrés pour permettre aux candidats de nouer des contacts raisonnablement avancés afin de rédiger leur plan de sous-traitance.

La sous-traitance étant mise en œuvre très souvent pour faire face à un pic dans le plan de charge (sous-traitance de capacité), le soumissionnaire devra pouvoir anticiper son activité de manière précise. A l’inverse, les acheteurs publics devront s’astreindre à respecter des plannings tirés au cordeau. Peut-être serait-il intéressant de prévoir une pénalité contractuelle à l’encontre de l’acheteur public ayant traîné lors de l’analyse des offres ou dans les phases précédent l’ordre de service ?

Dans certains domaines spécifiques (sous-traitance de spécialité), il est fort probable que le tissu économique local (insulaire la plupart du temps) ne permette pas aux opérateurs de trouver des sous-traitant disposant des capacités financières et surtout techniques et professionnelles. On peut penser à certaines prestations intellectuelles ou travaux spéciaux (transport par câbles, tunnelier, études ciblées…)

L’alinéa semble pourtant concerner tous les marchés dont la valeur estimée dépasse le seuil de 500 000 € HT sans exception sectorielle expressément mentionnée.

Enfin, notons sur ce point que l’article 19 al 3 de la loi sur l’Egalité Réelle des Outre-Mers jette aux orties le principe du libre choix par l’entreprise entre l’exécution personnelle des prestations et le recours à la sous-traitance porté par la loi de 75 relative à la sous-traitance.

Rédaction lacunaire, renvoi à des décrets postérieurs, sources de litiges sous-jacentes, l’article 19 de la loi Egalité Réelle des Outre-Mers ressemble plus à une déclaration politique destinée à apaiser un tissu économique ultra-marin sous perfusion d’argent public qu’à un vrai outil de gouvernance économique.

Il serait sans nul doute plus opportun de maîtriser les bases du process de l’achat public au lieu de multiplier les dispositifs de niche.

Jean TIROLE et Stéphane SAUSSIER dans la note du CAE n°2 d’avril 2015 souhaitaient rendre à l’achat public la réalisation du seul objectif d’acheter au meilleur rapport qualité prix de manière à optimiser la dépense publique (recommandation n°1 : « Reconnaître que l’objectif de la commande publique, quel qu’en soit le montant, est avant tout de satisfaire un besoin identifié en parvenant à la meilleure performance en termes de coûts et de services ou fonctionnalités attendus. Charger la commande publique d’atteindre des objectifs sociaux, environnementaux ou d’innovation est inefficace »).

En d’autres termes, en achetant mieux, on achète plus et un gâteau plus volumineux se partage plus facilement que la vieille tarte qui tourne et qui tourne à l’entrée du libre service dans une armoire vitrée translucide.

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Publié dans Analyse, Divagation
2 comments on “Un Small Business Act Ultra-Marin… Malin ou « machin »?
  1. Bouba dit :

    Le SBA à la sauce CGPME, est un inventaire des devoirs de l’acheteur public. Je n’y adhère pas. Que les entreprises mettent déjà le RSE en place et que les acheteurs publics soient capables de définir leur priorité d’investissement sur 3 ans, et après on pourra parler de stratégie du bon achat.

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    • clauseur dit :

      Il est vrai que le livre blanc SBA CGPME sollicite les acheteurs sans pour autant prévoir des contreparties des opérateurs. Toutefois, il est pavé de très bonnes intentions comme les comités experts. Quant à la RSE il est souvent contraire aux intérêts vénaux du monde libéral, çà ne prendra donc qu’à la marge ou alors ce sera du RSE Washing. Enfin, les décideurs publics capables de voir au delà du jour d’après sont également bien rares

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