« L’estimation des services » adoubée par une CAA ?

C’est CITIA, conseil en achat public, qui nous cafte cette jurisprudence toute fraîche : CAA BORDEAUX N° 13BX00854 du 20 novembre 2014 – Région GUYANE

Les faits sont relativement classiques : Une entreprise de travaux est évincée du marché de terrassement de la liaison routière Saint-Laurent – Apatou (pour un aperçu géographique, c’est à la frontière Guyane Surinam) et plus particulièrement de sa section 7 lancé par la Région Guyane.

Elle saisit le TA de CAYENNE pour demander l’annulation du contrat et l’indemnisation du préjudice subi par son éviction irrégulière. L’unique TA d’Amérique du Sud rejette la requête et voilà l’entreprise qui interjette appel.

La Région Guyane avait publié les critères d’attribution suivants :

  • Valeur Technique /6
  • Prix /6
  • Délai /4

Ce qui permet in fine de noter globalement les opérateurs économiques sur 16. Non pas sur 100, pas sur 20, pas sur 10 mais sur 16… Pourquoi pas après tout.

La requérante a tenté d’introduire le doute dans l’esprit des juges quant à l’appréciation des éléments de valeur technique, l’effort fut vain et ne nous intéresse aucunement.

Le considérant n°6 est, au contraire, bien plus croustillant :

« 6. Considérant, en deuxième lieu, qu’il ressort du rapport d’analyse des offres qu’en ce qui concerne le critère  » prix « , noté sur 6 points, le prix des prestations a été comparé avec l’estimation faite par l’administration, qui s’élevait à 907 800 euros TTC ; que, pour classer les offres, la note 6 était attribuée à l’offre dont l’estimation était inférieure ou égale à 60 % de l’estimation de l’administration, la note 0 allait à l’offre dont l’estimation était supérieure ou égale à 140 % de l’estimation de l’administration et, enfin, la note était calculée par interpolation linéaire pour l’offre comprise entre 60 % et 140 %« 

Une méthode de notation bornée autour de l’estimation administrative


Le service achat/marchés de la Région Guyane s’est montré bigrement original en retenant une méthode de notation du critère prix aussi avant-gardiste. En l’appliquant aux offres reçues, à l’estimation des services de la Région Guyane et aux bornes de la formule on obtient :

Note max requérante attributaire estimation administrative Note min
Montant 544680 580012 783762,5 907800 1270920
Note 6 5,7 4,02 3,6 0

Représenté graphiquement comme suit :

GRAPH_METHODE_NOTATION_GUYANE

Il s’agit donc d’une formule bornée entre 544 680 € (60% de l’estimation) et 1 279 200 € (140% de l’estimation) dans laquelle les écarts de notes sont moins prononcés que les écarts de montant lorsque celui-ci augmente :

GRAPH_EVOL

Alors régulière ou pas?


La requérante soutient que :

  • la méthode de notation n’était pas publiée

=> no way dit la Cour Administrative d’Appel, il n’est pas nécessaire de publier la méthode de notation (CE 31/03/2010, CT de CORSE n°334279, CE 02/08/2011 Syndicat Mixte de la Vallée de l’Orge Aval n°348711)

  • la méthode de notation réduit les écarts de notes par rapport au delta de montant entre les offres

=> Un moyen qui aurait pu prospérer (TAGREN 10/11/2009 Syndicat départemental d’énergies de la Drôme, TADIJ 23/12/2009 Dept de la Côte d’Or) mais le juge a considéré que les écarts n’étaient pas significatifs eu égard à la pondération du critère prix (TAPOITIERS 16/08/2011 Sté TERRALYS n°11-01666).

Au regard de l’état actuel du droit :

  • La formule permet-elle d’attribuer la meilleure note à l’offre la plus basse (CE 22 octobre 2014, n° 382495, CE 29 octobre 2013, n° 370789)?

A priori c’est le cas en l’espèce… En effet, l’offre de la requérante, la plus basse des offres recevables reçues a obtenu la note de 5,7/6. Certes, on peut imaginer toutefois une offre inférieure à la borne basse qui obtiendrait alors une note de 6/6. Par exemple, une offre s’élevant à 530 000 € obtiendrait une note de 6/6, une note de 535 000 € obtiendrait également une note de 6/6. Dès lors, la formule de notation de la Région GUYANE ne permet pas d’attribuer la meilleure note à l’offre la plus avantageuse financièrement.

  • Une formule de notation qui sanctionnerait l’offre la plus éloignée de l’estimation des services est illégale (T.A. de Lyon 15 janvier 2010, Société les Etablissements René Collet, n°0907754 CE, 29 octobre 2013, « OPH Val-d’Oise », n° 370789)

Ce n’est pas le cas en l’espèce. A notre connaissance, l’estimation administrative ne sert qu’à borner l’échelle de notation. Il ne s’agit donc pas d’offrir la meilleure note à l’offre s’étant le plus rapprochée de l’estimation administrative mais bien d’attribuer une note supérieure à celle qui aurait pu être attribuée à l’estimation aux offres inférieures à cette dernière.

On ajoutera pour être tout à fait complet que la notation du critère prix doit « donner lieu à une comparaison directe des offres entre elles, le prix le plus bas devant obtenir l’évaluation la plus haute » (Réponse ministérielle du 23/08/2007).

  • La méthode de notation peut-elle conduire à attribuer des notes négatives (CE18 décembre 2012, n° 362532, Département de la GUADELOUPE)?

A priori, cette formule peut conduire à attribuer des notes négatives dès lors que les offres notées dépassent de plus de 140% l’estimation administrative. On peut toutefois comprendre que la démarche de la Région GUYANE était de juger comme inacceptable les offres dépassant 1 279 200 €.

Il est fort probable que la société requérante se pourvoit en cassation compte tenu des enjeux financiers (119 000 € d’indemnités). Dès lors, on peut s’attendre à ce que les rapporteurs publics examinent avec attention la méthode de notation utilisée.

Notre pronostic? Méthode irrégulière.

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3 comments on “« L’estimation des services » adoubée par une CAA ?
  1. Pronostic : méthode régulière.

    Plus sérieusement, je ne vois pas dans votre analyse d’argument permettant de trancher.

    D’autant plus que comme vous l’expliquer fort justement dans un autre billet :
    le pouvoir adjudicateur :
    – Effectue une analyse de la valeur de son besoin (combien coûte la satisfaction de mon besoin compte tenu de ses composantes)
    – Analyse le marché fournisseur (qui peut répondre et à quel prix)
    – Détermine un coût d’objectif (avec éventuellement un coût maximum correspondant à son budget)
    – Rejette les offres inacceptables c’est à dire celle qu’il ne pourra financer car au delà de son budget

    Ce qui regle le problème de la note négative.

    Il me semble important de souligner que la méthode de notation utilisée par la région guyane l’estimation joue un double rôle :
    – détermination de la pente de la droite ie écart de prix corespondant à la plage de notation ;
    – ancrage, sur ce point il serait aisé de recaler la notation pour donner à l’offre la moins disante la note maximale ou 0 à la limite budgétaire, dans les trais cas les résultats seraient identiques à une constante près.

    Enfin, vos graphiques donnent inutillement l’impression que la méthode de notation utilisée par la région guyane est complexe alors que linéaire elle se représente naturellement comme une droite.

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  2. clauseur dit :

    Je vous remercie pour votre commentaire, c’est un honneur de vous retrouver sur mon modeste blog. Toutefois, j’étaye mon pronostic non pas sur un seul moyen, celui des notes négatives mais aussi et surtout, à titre principal, sur le fait que cette formule « ne permet pas d’attribuer la meilleure note à l’offre la plus avantageuse financièrement ». En effet, une note inférieure à la borne basse 544 680 €. On pourrait supposer qu’en deçà de cette borne, les offres sont suspectées d’être anormalement basse. Toutefois, un OE peut très bien pouvoir démontrer que son offre est viable.
    Mon pronostic reste donc inchangé.
    Comme vous l’indiquez, cette méthode serait régulière si la méthode « donner à l’offre la moins disante la note maximale » ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

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  3. […] papier n’exposera pas le critère du prix que ce modeste blog a déjà pu traiter ici ou là ou encore là. Nous nous contenterons d’introduire quelques critères intéressants à sortir de […]

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