Tout çà c’est après le DRAM* – Entretien avec M. Najyb TEMAGOULT – PART I

*Décret relatif aux Marchés Publics (Décret n°2016-360)

Le Clauseur retrouve l’AZERTY près de 16 mois après son dernier envoi et c’est avec un réel plaisir que j’ai interrogé un vrai praticien de la commande publique, Monsieur Najyb TEMAGOULT.

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1. Globalement êtes-vous satisfait de la réforme applicable depuis le 1/04/16? Quelles nouveautés vous réjouissent le plus? vous inquiètent le plus?

Globalement, il n’y a pas de quoi être satisfait, à brûle pourpoint je dénombre 7 cas d’insatisfactions :
1) Confusion Accord-cadre (AC)/Marchés Publics (MP).
Le décret relatifs aux marchés (DRAM), nous dit que désormais un AC est un MP. Pourtant ces deux types de contrat sont différents. L’AC est un pré contrat, il s’apparente à des pourparlers, là où le marché est une commande ferme. La Directive 2014/24/UE fait pourtant bien la différence entre ces deux types de contrat :
Article 2-I-5 : « «marchés publics», des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et ayant pour objet l’exécution de travaux, la fourniture de produits ou la prestation de services; « 
Article 33 : « Un accord-cadre est un accord conclu entre un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et un ou plusieurs opérateurs économiques ayant pour objet d’établir les conditions régissant les marchés à passer au cours d’une période donnée, notamment en ce qui concerne les prix et, le cas échéant, les quantités envisagées. « 
Cela a des conséquences en pratique : dans le Code de 2006 un AC ne pouvait pas être reconduit car il n’était pas visé par l’article 16, aujourd’hui l’article 16 du DRAM vise les MP donc les AC. Ne risque t’on pas de confondre ces deux notions alors que la Directive les a bien distingués et séparés?

 « On prend le problème à l’envers, raccourcir les délais de procédure ne va pas dans le bon sens »

 2) Réduction des délais de procédure.
L’appel d’offres passe de 52 jours à 35 jours, article 67-I du DRAM. Ce délai peut être réduit à 30 jours si on accepte les candidatures et les offres dématérialisées. Les entreprises se plaignaient sous le Code 2006 de ne pas avoir assez de temps pour préparer leurs offres, comment vont elle faire avec cette réduction? Car en pratique sous le Code 2006, rares étaient les procédures laissant 52 jours pleins, les Pouvoirs Adjudicateurs (PA) laissaient 40 jours pour répondre à un appel d’offres car ils souhaitaient bénéficier des réductions de délais qu’offrait le Code.
Les Pouvoirs Adjudicateurs se plaignaient de leur côté de ne pas recevoir d’offres ou d’en recevoir qu’une seule. A mon sens, on prend le problème à l’envers, raccourcir les délais de procédure qui étaient déjà assez courts ne va pas dans le bon sens. Heureusement, les Pouvoirs Adjudicateurs peuvent proposer un délai supérieur, rien ne l’interdit.

 

3) Durcissement de la procédure adaptée.

Alors certes, on a intégré la jurisprudence permettant de se réserver la possibilité de négocier mais on a supprimé :

– La possibilité de contracter avec qui l’on voulait en dessous de 25 000 € HT, article 28-III du Code 2006. Désormais il faudra faire une procédure négociée pour cela, article 30-I-8° du DRAM. Cela remet en cause la « procédure des 3 devis » qui est répandue chez les Pouvoirs Adjudicateurs car l’article 34-I-1-a impose des mesures de publicité pour les MAPA inférieurs à 90 000 € HT.

Demander 3 devis Est-ce une mesure de publicité? Le juge nous le dira mais il y a une légère contradiction entre l’article 27 du DRAM : « Lorsque la valeur estimée du besoin est inférieure aux seuils de procédure formalisée, l’acheteur peut recourir à une procédure adaptée dont il détermine librement les modalités en fonction de la nature et des caractéristiques du besoin à satisfaire, du nombre ou de la localisation des opérateurs économiques susceptibles d’y répondre ainsi que des circonstances de l’achat. » et l’article 34-I-1-a :  » I. – Pour les marchés publics passés selon une procédure adaptée en vertu de l’article 27 :

1° L’Etat, ses établissements publics autres qu’à caractère industriel et commercial, les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements procèdent à une publicité dans les conditions suivantes :

a) Lorsque la valeur estimée du besoin est inférieure à 90 000 euros HT, l’acheteur choisit librement les modalités de publicité adaptées en fonction des caractéristiques du marché public, notamment le montant et la nature des travaux, des fournitures ou des services en cause ; »

Où est la liberté dans l’établissement des modalités de la consultation en MAPA lorsqu’on nous impose de faire une publicité dès le premier euro?

Où est l’efficacité de la commande publique?

Il s’agit d’un loupé rédactionnel à mon sens, j’espère que l’on reviendra à la rédaction antérieure. En effet, quel intérêt de faire une publicité à 100 € pour un achat à 1000 € si ce n’est dépenser 10% de l’estimation de notre achat en frais de publicité (sans parler du coût humain)?

La possibilité de s’inspirer des procédures formalisées du DRAM comme le permettait l’article 28 alinéa 3 du Code 2006, a aussi un impact sur les procédures réservées aux Entités Adjudicatrices (EA).

« Pourquoi ne pas étendre aux Pouvoirs Adjudicateurs le système de qualification? »

4) Impossibilité de recourir au Système de Qualification (SDQ) pour les PA.

Prévu à l’article 46 du DRAM, il est réservé aux Entités Adjudicatrices (EA). Pourquoi ne pas l’étendre aux PA? Il s’agit ni plus, ni moins que d’un AC ouvert, où n’importe quel Opérateur Économique (OE) peut être intégré durant la durée du SDQ. Cela aurait gommé une imperfection de l’Accord-Cadre : les OE qui ne répondent plus aux Marchés Subséquents (MS) car ils n’en gagnent pas ou peu. Imaginez un SDQ de 4 ans où pendant 4 ans les OE qui veulent se faire qualifier la première année peuvent ne plus être qualifiée la deuxième pour mieux revenir la troisième. Ainsi, le PA enverrait son DCE à la liste d’OE actualisée en fonction des entrées et des sorties. Il n’y aurait plus cette impression d’emprisonnement que peuvent ressentir les OE lorsqu’ils sont engagés dans un AC. J’aimerais que l’on m’explique pourquoi le SDQ n’est pas ouvert aux PA?

« L’obtention du Casier Judiciaire « personne morale » relève du chemin de croix »

5) Le casier judiciaire (CJ).

On nous avait vendu la réforme de la commande publique comme une « réforme de la simplification ». Résultats des courses : nous avons des documents supplémentaires à demander pour pouvoir notifier et le fameux CJ des personnes physiques et des personnes morales. Si l’obtention du CJ pour les personnes physiques est rapide (48h maximum sauf si le CJ n’est pas vierge alors le délai est plus long et je ne parle même pas du délai quand on est un PA ultramarin), l’obtention du CJ personne morale relève du chemin de croix. Par exemple, une demande envoyée à Nantes (le service doit être débordé je les plains) le 27 juin et toujours pas de réponse à ce jour. Les PA qui attendront d’avoir tous les CJ nécessaires risquent de ne plus pouvoir notifier dans les temps, nous avons pris le pari de ne plus attendre pour notifier.

« à vouloir simplifier les procédures, on installe de l’insécurité juridique »

6) Plus d’obligation de signer l’offre.

Désormais nous pouvons recevoir des offres non signées. Cela me laisse extrêmement dubitatif, qu’est ce qui empêchera un OE de ne pas fournir son offre signer en fin de procédure? Comment authentifier l’identité de la personne morale et de la personne physique qui engage la personne morale. A vouloir simplifier les procédures, on installe de l’insécurité juridique. Pour moi cela fait partie des mesurettes de cette réforme. Désormais les PA devront clairement indiquer s’ils acceptent ou pas les offres non signées car rien dans le DRAM ou dans l’Ordonnance n’interdit de demander aux OE d’envoyer des offres signées.

Alors je peux comprendre l’intérêt pour les offres électroniques car le certificat de signature électronique est couteux et compliqué à obtenir mais la réforme a passé à l’as un texte européen directement applicable en droit interne. Le règlement communautaire No 910/2014 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 23 juillet 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur et abrogeant la directive 1999/93. Il met en place le cachet électronique :

« Un cachet électronique qualifié bénéficie d’une présomption d’intégrité des données et d’exactitude de l’origine des données auxquelles le cachet électronique qualifié est lié. »

Je reprendrais ce que Dominique FAUSSER a dit sur ce sujet sur le forum AGORAPUBLIX : « Attaché à la personne morale (l’entreprise), il est plus simple à utiliser qu’une signature électronique assignée à une personne physique et pourrait être associé au paquet télé-transmis, moins périlleux à ce stade que des signatures à attacher au bon document. Au moins l’acheteur aurait une certitude sur l’identité d’origine de la candidature qui remet sa proposition d’offre… le bon vieux cachet de cire modernisé à la mode électronique »

Maintenant chacun prendra ses responsabilités mais personnellement je continuerai à demander la signature des offres car je ne vois pas en quoi demander une offre signée est un frein à l’accès à la commande publique. Si la signature électronique est compliquée, rien n’empêche les OE de se mettre au cachet électronique compte tenu de l’obligation de tout dématérialiser à compter d’octobre 2018.

7) Les offres variables.


Ou comment tuer l’allotissement à petit feu. L’Ordonnance nous avait mis l’eau à l’a bouche en son article 32, la DAJ s’était essayée à l’exercice périlleux de l’analyse avec offres variables dans sa fiche sur l’allotissement et le DRAM n’en parle pas!
Pour résumé, nous avons la possibilité, si cela est prévu dans le règlement de la consultation (qui lui n’a pas encore disparu, peut être à la prochaine réforme qui sait?) d’attribuer plusieurs lots à un même OE à partir du moment si cet OE présente l’offre économiquement la plus avantageuse sur l’ensemble des lots identifiés.

Mais quel intérêt de faire des lots dans ce cas si le résultat aboutit au même résultat qu’une consultation lancée sans lot, de manière globale?

Ici se télescopent deux choses :

  • l’obligation de l’allotissement de l’article 12 du DRAM
  • le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse de l’article 62-II du DRAM.

Mais surtout à termes, rien n’empêchera les PA de lancer des consultations alloties pour respecter l’article 12 avec la possibilité de faire des offres variables pour l’ensemble des lots. Si cette pratique venait être généralisée, alors le principe d’accès à la commande publique sera littéralement vidé de sa substance car les PME ne pourront pas luter face aux OE de tailles conséquentes et capables de répondre à l’ensemble des lots. Il faudrait une limitation à ces offres variables sans quoi on aurait un moyen de contourner l’obligation d’allotissement, qui se voit déjà bien écornée par les marchés globaux.

 

Quelques éléments biographiques :

M. Najyb TEMAGOULT – Directeur de la Commande Publique – Commune de SAINT-ANDRE depuis 2015

  • de 2013 à 2015 – Instructeur des Marchés Publics – Région Réunion
  • de 2011 à 2013 – Responsable de la Commande Publique – ARS Océan Indien
  • de 2009 à 2011 – Directeur du service Achat – Ville de Maison-Lafitte
  • de 2007 à 2008 – Responsable administratif GIP MARITE – Ville de ROUEN
  • de 2006 à 2007 – Directeur des affaires juridiques et des marchés publics – Communauté d’Agglomération de l’Albigeois
  • Formateur CNFPT
  • Formateur interministériel
Publié dans Analyse, Réflexion

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