Quelques pensées rapides sur les critères d’attribution…Part I

Trouver la solution qui permettra de satisfaire au mieux :

  • les besoins binaires de la Direction des Systèmes d’Information,
  • les papilles des rationnaires de la cantine scolaire,
  • les attentes en matière de sécurité des cantonniers,
  • l’appétit littéraire des inscrits à la médiathèque intercommunale
  • ou encore le regard de l’Architecte des Bâtiments de France sur l’intégration du mobilier urbain dans une AVAP

tel est le rôle principal de l’acheteur public.

Pour ce faire, il dispose d’une boîte à outils bien fournie pour interroger le marché fournisseur et détecter l’offre économiquement la plus avantageuse du moment, c’est-à-dire celle qui répondra le plus avantageusement aux besoins des usagers.

Parmi ces outils, citons les cahiers des charges (ouverts aux variantes, fermés, fonctionnels, normatifs…), la procédure de consultation (en un seul round, avec négociation, avec remise de prestations ou échantillons, avec écriture du cahier des charges tout au long du processus de sélection) et bien entendu les critères d’attribution.

Les critères d’attribution, leur pondération, leurs éléments d’appréciation et leur méthode de notation constituent un message formulé par l’acheteur au marché fournisseur qui doit permettre à ce dernier d’orienter son offre au plus près des désirs du premier.

Ainsi :

  • un critère « délai » fortement pondéré signifiera que l’acheteur voudra rapidement satisfaire son besoin et qu’il est donc prêt à payer plus cher pour se sustenter fissa.
  • Un critère relatif aux performances en matière d’insertion des personnes éloignées de l’emploi pondéré au-delà de 30% affirmera la prépondérance de l’action sociale dans la politique globale de l’organisation publique

Ce papier n’exposera pas le critère du prix que ce modeste blog a déjà pu traiter ici ou ou encore . Nous nous contenterons d’introduire quelques critères intéressants à sortir de votre tablier d’acheteur lorsque vous concoctez une consultation aux petits oignons pour vos techniciens.

Il conviendra alors de ne pas perdre de vue que le pouvoir adjudicateur se fonde sur un ou plusieurs critères de sélection non discriminatoires et justifiés par l’objet du marché ou ses conditions d’exécution pour attribuer le marché public.

Le délai d’exécution

…ou délai de livraison dans les marchés de fournitures peut être défini comme le laps de temps déterminé pour réaliser les prestations, travaux ou livrer les fournitures objet du marché.

Le critère délai d’exécution permet d’offrir la meilleure note au soumissionnaire qui propose le délai d’exécution le plus bas parmi les autres offres.

Ainsi l’entreprise « A » qui livre en 10 jours sera supérieure sur ce critère à l’entreprise « B » qui livre en 15 jours.

Aussi, on peut raisonnablement envisager qu’un acheteur souhaite disposer de la livraison de biens dans des délais fortement contraints pour faire face à certaines échéances. Le maître d’ouvrage des JO 2024 risque ainsi d’avoir recours quelquefois au critère délai.

Et pourtant, le critère « délai » est-il pertinent ?

Pourquoi ne pas fixer dans le cahier des charges le délai qui importera à l’acheteur :

  • si l’école doit être livrée en août de l’année n+3 pour être opérationnelle à la rentrée N+3, alors le délai d’exécution doit être fixer dans le cahier des charges et non valoriser par un critère. A quoi bon obtenir la livraison du bâtiment scolaire en mai n+3 ? A quoi bon gagner 4 mois ?
  • si un combustible doit être livré tous les 10 jours, à quoi bon valoriser une entreprise qui propose de livrer sous 5 jours ?

Le critère « délai » est ainsi souvent fixé au règlement de consultation par des services mal organisés pour palier à leur faiblesse en matière de logistique ou de gestion des stocks. Mieux vaut donc agir en interne au lieu de payer plus cher un service plus rapide.

Pas forcément pertinent, le critère « délai » est aussi un critère pervers :

A supposer que le titulaire du marché ait emporté la consultation parce qu’il s’est engagé à prix sensiblement supérieur aux autres concurrents sur un délai substantiellement inférieur, ce titulaire ne respecte pas le délai fixé et livre dans un délai supérieur à celui que proposaient les concurrents. A supposer toujours, comme c’est le cas très souvent dans les organisations publiques que le responsable de l’exécution ne soit pas la même personne qui a assuré la passation. Le contrôleur de l’exécution peut omettre d’appliquer des pénalités de retard et favoriser ainsi le titulaire du marché. Il peut également prolonger à tort le délai d’exécution artificiellement et donc renoncer implicitement à l’application des pénalités de retard (CE 17/03/2010 n°308676, Commune d’Issy les Moulineaux).

Un arrêt récent de la Cour Administrative de Versailles (CAA de Versailles, 5e chambre, 22 juin 2017, n°15VE02147) autorise les acheteurs à utiliser le taux ou le montant de pénalités de retard comme critère d’attribution pour jauger la fiabilité du fournisseur quant au respect des délais d’exécution ou de livraison.

En effet, au lieu de valoriser des délais inférieurs au délai cible (ou plafond), l’acheteur demande aux soumissionnaires de fixer eux même le montant des pénalités qu’ils consentent à se voir infliger en cas de non respect du délai contractuel. Aussi, plus le montant des pénalités figurant dans l’offre sera élevé, plus le soumissionnaire s’affichera comme soucieux du bon respect des attentes de l’acheteur public en matière de délai. La CAA de VERSAILLES précise ainsi que : « ni la circonstance que la pénalité ne soit susceptible d’être prononcée qu’en cas de retard d’exécution du marché, ni celle qu’elle soit susceptible d’être atténuée par le juge du contrat ne peuvent faire regarder ce sous-critère comme dénué de tout caractère objectif et de toute pertinence ». Autrement dit, ce critère masochiste n’est pas discriminatoire et est lié à l’objet du marché de construction objet du litige. On peut légitimement avancer que ce critère pourrait être lié à la plupart des besoins des acheteurs publics donc utilisable à l’envie…à condition évidemment d’appliquer les pénalités lorsque retard imputable au titulaire il y a.

La fiabilité

La fiabilité, la solidité, la durabilité ou la robustesse des équipements, fournitures, ouvrages objets du marché constitue le plus souvent un sous-critère de la sacro-sainte Valeur Technique.

Il est parfaitement compréhensible, dans une logique de bonne utilisation des deniers publics et d’achat responsable, de souhaiter obtenir des équipements qui ne vont pas perdre toute utilité après seulement quelques semaines d’utilisation.

Aussi, pour faire la lumière sur l’offre ayant le meilleur rapport qualité / prix, l’acheteur devra déterminer comment vérifier et valoriser la robustesse de l’équipement qui assouvira son besoin sans se contenter du typique « c’est cui là que j’veux car c’est la meilleure marque».

Comment passer alors d’une discrimination basée sur la réputation à une note objective ne distordant pas les écarts entre la fiabilité des offres reçues ?

Il est envisageable de solliciter la fourniture d’un échantillon dans certains cas notamment lorsque le coût de l’échantillon est dérisoire par rapport à la quantité qui sera commandée dans le cadre du marché tels que :

  • des éléments de quincaillerie
  • de l’outillage manuel de jardinage
  • des couverts de restauration scolaire
  • de la verrerie scientifique
  • signalétique extérieure

L’acheteur peut également solliciter des opérateurs économiques candidats de tester le matériel dans leurs ateliers pour des machines-outils, des outillages portatifs électrique ou thermique, des véhicules ou des équipements de bureautique.

L’acheteur se heurtera malgré tout à des limites inhérentes à la durée du test, à la taille de l’échantillon testé et à l’organisation même du test dans des conditions d’utilisation réelle (ND Clauseur : je salue à ce propos la pertinence des propos de HP CHAVAZ sur http://agorapublix.com/forum3/index.php?topic=32531.0 que je reprends ici).

Une astuce est d’utiliser la durée et les conditions de la garantie. Ainsi, plus la garantie est longue, plus le fournisseur est confiant sur la durabilité de son produit. Plus les conditions de la garantie sont étendues (remplacement, mise à disposition d’un équipement de remplacement, prise en charge des transports, dédommagement…), plus le candidat s’exposera en cas de défaillance de son produit.

Le cahier des charges devra également prévoir les mesures coercitives suffisamment précises et contraignantes en cas de non respect des conditions de la garantie par le titulaire.

Les critères subjectifs

Pour clôturer cette première partie, un passage rapide sur les critères organoleptiques et esthétiques. On utilise ces discriminants lors des marchés de denrées alimentaires pour la restauration scolaire, les prestations de traiteur, certains évènementiels pour le premier et pour le mobilier urbain, la Maîtrise d’Oeuvre, certaines prestations graphiques notamment pour le second.

Subjectifs donc discriminatoires, ces critères devront être utilisés avec parcimonie par l’acheteur et surtout objectivés.

Cette objectivisation n’est rendu possible qu’en agrégeant les appréciations d’un jury suffisamment indépendant et composé d’un nombre suffisant de membres, au minimum 5.

Ainsi, le plat cuisiné en conserve qui figurera dans la ration du soldat pourra être considérée comme fade par un membre, correcte par un autre et succulente par deux autres. Globalement, ce plat cuisiné obtiendra une note supérieure à la moyenne et non une note quasi parfaite si les deux derniers jurés avaient été les seuls à débattre. Il en va de même pour la perception esthétique. Ce qui apparaît agréable à l’oeil pour un juré pourra passer pour une croûte infâme pour un autre.

L’ergonomie et le confort pourront également être passés à la moulinette d’un jury pour dégager une évaluation la plus objective, ou en tout cas la moins sujette à polémique possible.

 

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Publié dans Bonne pratique
1 comments on “Quelques pensées rapides sur les critères d’attribution…Part I
  1. hpchavaz dit :

    « Un arrêt récent de la Cour Administrative de Versailles (CAA de Versailles, 5e chambre, 22 juin 2017, n°15VE02147) autorise les acheteurs à utiliser le taux ou le montant de pénalités de retard comme critère d’attribution pour jauger la fiabilité du fournisseur quant au respect des délais d’exécution ou de livraison. »

    Arret invalidé par CE 413533 – 09/11/2018 – Savoie Frères
    https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000037599991

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